ⴷⵉⵀⵢⴰ alias Kahena
- [Yashar-Ël: Φᵢ(K)∝A(t)]~>
- 5 mars 2018
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 mars 2018

La Kahena
Le témoignage des historiens arabes est unanime : au VIIème siècle, de nombreuses tribus étaient devenues juives.
L’une d’entre elles, celle des Djeraoua, donnera au Maghreb l’héroïne et l’incarnation de sa résistance : la Kahéna1. Elle succèdera au héros chrétien de cette lutte, Koceila, qui sera assisté par Sekerdid el-Roumi, le premier chef de la lutte du peuple berbère contre l’envahisseur arabe. Étrange symbole de cette histoire plus prenante qu’un roman que nous rapporte ainsi Ibn Khaldoun !
Koceila, chef de la tribu des Auréba christianisés parmi les beranès, les porteurs de burnous, avec l’appui du Maghreb tout entier, et fort de ses liaisons avec les éléments latinisés de tout le pays, obtiendra une éclatante victoire sur Ocba à Téhouda, près de Biskra, où s’élève aujourd’hui la célèbre Koubba de Sidi-Ocba.à la suite de cette victoire, de 682 à 687, Koceila fut, selon le Bayan, "le maître de l’Ifrikya et du Maghreb tout entier".En 687, cependant, il devait être vaincu et tué devant Kairouan.Les tribus beranès vaincues devaient laisser la direction de la lutte aux Botr et, plus spécialement, aux Djeraoua, les prosélytes commandés par la prêtresse aux connaissances surnaturelles, familière des démons et des anges : la Kahena.
Les Djeraoua dominaient l’Aurès oriental2 et c’est eux, grâce au génie de la Kahena, qui allaient devenir les portes-drapeau du Maghreb livré à l’assaut des tribus arabes.
L’offensive est, cette fois, dirigée par Hassan ibn el-Noman el-Ghassani, gouverneur arabe de l’Égypte : "Hassan, après avoir détruit Carthage, demanda alors qui était le chef le plus puissant en Ifrikya ; et on lui désigna une femme qui gouvernait les Berbèreset qui était généralement connue sous le nom de la Kahena. Elle demeure, lui dit-on, dans les monts Aurès. Cette femme juive prédisait l’avenir et tout ce qu’elle annonçait ne manquait pas de se réaliser.Elle tuée, Hassan ne trouverait plus ni résistance ni rivalité. Hassan marcha contre elle…3"
Selon Ibn Khaldoun, Hassan prit position en 688 (69 de l’hégire) au nord de l’Aurès, sur le bord de la rivière El-Meskiana. La Kahena lança ses Berbères contre les troupes adverses et les mit en déroute, expulsant les tribus arabes de l’Aurès, du territoire de Gabès, et les forçant à chercher refuge en Tripolitaine4. Cette victoire devait faire de la Kahena la reine du Maghreb. Éphémère royauté qui dura cinq années. En 693, opiniâtres, les arabes déclenchent un nouvel assaut encore commandé par Hassan. Cette fois, il forcent la victoire : "La Kahena elle-même fut tuée dans les monts Aurès, à un endroit que l’on appelle encore aujourd’hui : Bir el-Kahena – le puit de la Kahena5." Quand survint cette 1 Une bibliographie sur la Kahena donnerait l’occasion de ressusciter trop de mauvais romans à prétentions historiques pour que nous nous y résignions. Nous préférons renvoyer aux textes les plus évocateurs de ce génial Ibn Khaldoun ou bien au "Kitab el-Adouani" publié par Féraud dans Recueil des notices et mémoires de la société archéologique de Constantine, 1868. Cf. enquêtes de Masqueray sur les survivances de cette période dans les traditions populaires, dans "Traditions de l’Ouras oriental" (Bulletin de correspondance africaine, 1885, pp. 72 et suiv.). Cf. la mise au point que donne de l’histoire de la Kahena Hirschberg : Op. Cit. pp. 61-67. 2 Si les historiens s’accordent à voir des juifs dans les Djeraoua, ils divergent quant à l’explication de leurs origines. Gauthier voit en eux de grands nomades arrivés depuis peu en Ifrikya. Au contraire, M. Simon en fait des sédentaires convertis au judaïsme à l’époque romaine et installés de longue date dans l’Aurès ; il semble en effet plausible d’admettre que les Djeraoua étaient sédentaires à l’époque de leur lutte contre Hassan. "Nous ne désirons que des champs et des pâturages" fera dire à la Kahena Ibn Khaldoun qui les classe cependant parmi les tribus nomades récemment installées en Aurès et pratiquant, devenu plus riches, un semi-nomadisme. La sédentarisation des nomades est un phénomène progressif courant aux confins des steppes et des sables. Cf. François Plessier : Etat juif et monde arabe, p. 26. 3 El-Bayan : Histoire de l’Afrique et de l’Espagne, traduite par E. Fagnan, Alger, 1901, p. 25. 4 Ibn Khaldoun : Histoire des berbères, op. cit., p. 214. 5 El Bayan, op. cit., p. 29.
mort ? Ici, les auteurs arabes se contredisent : 74 ou 79 de l’hégire (693 ou 698 de notre ère), nous rapporte une tradition ; 82 (701), déclare El-Bayan ; 84 (703), affirme El-Kairouani6. La victoire de Hassan mettait un terme à l’ultime tentative des Berbères de se constituer en état indépendant. Ainsi que le note Gauthier, avec sa lucidité coutumière, Koceila de 682 à 687, la Kahena, de 688 à sa mort, réalisèrent le vieux rêve de Massinissa, celui que poursuivirent vainement les romains et les vandales et les byzantins, les arabes même et les turcs et les espagnols plus tard encore, cette gageure historique que devait, au Xxème siècle, tenir la France : l’unité du Maghreb… La Kahena régna ainsi, sauvagement, nous déclarent les historiens arabes unanimes, utilisant ses grands chameliers berbères et ce qui restait de troupes byzantines sous la direction de Djeraoua pour tenter de consolider la fragile unité de son royaume. La dureté de son administration, que les historiens arabes nous décrivent implacable, est-elle al seule cause des défections que signalent Ibn el-Athir et Ibn Khaldoun ? Citons ici la curieuse complainte recueillie par Cazès dans le folklore judéo-arabe des Israélites de Constantine :
O fils de Yechouroun, N’oubliez pas pas vos persécuteurs : Les Chaldéens, César et Adrien, et Kahiya, Cette femme maudite plus cruelle que tous les autres réunis. Elle donnait nos vierges à ses guerriers, Elle se lavait les pieds dans le sang de nos enfants, Dieu l’avait créée pour nous faire expier nos péchés, Mais Dieu hait ceux qui font souffrir son peuple. Rends-moi mes enfants Pour qu’ils portent mon deuil. Je les ai laissés Entre les mains de la Kahiya.
Cazès rapporte cette complainte au souvenir de la Kahena, cruelle dans la mémoire de son peuple7. Il s’agit là d’une tradition populaire, bien évidemment tardive.
Mais peut-être, peut-on voir dans sa défaite, une incapacité congénitale du Maghreb de se constituer en contrée indépendante ? De fait, ces quelques années des royaumes de Koceila (un chrétien) et de la Kahena seront les seules dans les millénaires de son histoire où l’Afrique du Nord n’aura pas toléré un conquérant étranger.
Faut-il maintenant rapporter les circonstances de la défaite de la Kahena ? Voici le récit qu’en donne Ibn Khaldoun : "les Berbères abandonnèrent la Kahena pour faire leur soumission à Hassan. Ce général profita d’un événement assez heureux et, ayant réussi à semer la désunion parmi les adhérents de la Kahena, il marcha contre les berbères qui obéissaient encore à cette femme, et les mit en déroute… [La veille de la bataille] quand la nuit vint, la Kahena dit à ses deux fils qu’elle se considérait déjà comme morte8. Qu’elle avait vu sa tête coupée offerte au prince arabe à qui obéissait Hassan. Ce fut en vain que Khaled lui proposa d’abandonner le pays à l’envahisseur. Elle objecta que ce serait une honte pour son peuple9."
Les historiens ne donnent pas de nom à cette ultime combat. l’important, toutefois, est ce qui suivit. La kahena avant de mourir aurait donné l’ordre à ses fils, puisque tout était perdu, de faire leur soumission à Hassan. La défaite et la mort de la Kahena donnèrent le signal de la reddition des tribus berbères. 6 El Bayan, op. cit., p. 29, note 1. 7 Cazès : Essai sur l’histoire des israélites de Tunisie, Paris, 1888, p. 46. 8 El Bayan situe ce fait au jour du combat. En pleine bataille, la Kahena, les cheveux épars, s’écrait : "veillez à l’avenir ! Car autant dire que je suis morte". 9 Ibn Khaldoun, Histoire des berbères, tome 1 p. 29.
Ariël ben-Yossef
Certains historiens arabes affirment qu'el kahina fut trahie par ses propres "sujets". Les raisons rapportées ou supposées de la remise en cause de son autorité furent:Son hégémonie, sa rigidité dans la gestion des différends, des conflits d’intérêts entre tributs berbères. Ces conflits furent, parait-il, attisés par l"avancée de l'influence des convertis ( amrav'den) à l'islam. Ce sont ses derniers avec les chefs tribaux qui ont formé le gros des troupes "okbistes" pour tomber le règne De Dihya la reine berbère. Elle a été trahie par les siens, par la force de la menace des invasions, conquêtes sanguinaires des armées musulmanes.
J. Lafrite.